Le voyage de Mortimer de Tomàs Turner

« Le voyage de Mortimer » est signé Tomàs Turner, pseudonyme de Bernard Rio, écrivain, journaliste et chargé de communication qui collabore régulièrement avec  Révélations.

Psychanalyse et désœuvrement conduisent le héros de ce roman, Mortimer Linskey, un quadragénaire américain, jusqu’en France où il s’aventure à pied, en empruntant les vieux chemins de terre. Cette traversée de la France tient à la fois de l’épreuve physique et du cheminement spirituel. Mortimer se métamorphose et reprend peu à peu goût aux plaisirs de la vie. Il se découvre et trouve l’amour. La rencontre avec Rebecca donne un sens à sa vie.
Le romancier réussit à faire de ce récit de voyage une aventure extraordinaire, en jouant sur deux registres: la quête intérieure et la découverte du monde. Il y parvient en conjuguant l’érudition et un regard esthétique qui donnent au lecteur envie de suivre les traces de Mortimer.


Tomàs Turner célèbre les retrouvailles de l’homme avec lui-même, avec la nature, avec l’humanité qui a façonné le paysage et les traditions. Cette approche naturaliste et géographique, historique et mystique, amoureuse et épicurienne, fait de ce roman un livre atypique qui résonne singulièrement en nous révélant la part sacrée de l’être. Ce voyage, jalonné de symboles dans des lieux et des temps qui se superposent, offre une vision en profondeur du monde. C’est un palimpseste que Tomàs Turner nous propose, en multipliant les perceptions, les visions et les interprétations d’un monde immense et multipolaire. Il ouvre le champ de la mémoire et y fait entrer Mortimer, sans boussole et sans carte. Le voyage se transforme en un jeu de piste, avec des énigmes, des événements qui ne sont pas le fruit du hasard, des rencontres avec des personnages qui n’appartiennent pas tous au présent et à notre dimension. Mortimer pourrait se perdre, et nous avec lui, car Tomàs Turner emmêle les fils. Mais il sait aussi en jouer et ce n’est pas sans malice qu’il parvient à tisser une ingénieuse toile d’araignée. La déambulation devient complexe, envoûtante et sibylline. Elle se déroule selon un plan caché. Chaque étape vise à libérer Mortimer d’un de ses maux et à s’affranchir du monde. Il doit sans cesse avancer et suivre son chemin jusqu’à son terme où il trouvera « le premier mot de sa nouvelle vie ». Quel est ce mot finalement ? Quel est le sens de ce voyage ? Mortimer Linskey n’échappe pas au postulat du perdant perdu. Il est mal dans sa peau et il s’égare. Il doit se perdre pour se trouver. Depuis les plaines de l’Ouest américain, où le rêve est devenu une denrée superflue, jusqu’à la France d’en bas, où l’élite condescendante ne met jamais les pieds, il y a beaucoup de chemin à parcourir…

Pour arriver dans cette France d’un autre âge — Une France d’hier? Une France de demain? Une France d’aujourd’hui ? Une France oubliée et hors du temps ? — Tomàs Turner détourne les guides touristiques et les livres d’histoire sans s’embarrasser de plaire aux agences de voyage et aux bien-pensants. Son personnage en rupture de ban, pose son sac au musée des arts premiers, quai Branly, puis dans un monastère bénédictin au bord de la Loire, une station thermale en Auvergne, une ferme cévenole, une demeure de charme poitevine, un festival de musique en Bretagne, avant de s’en aller plus loin encore, vers l’Inconnu.
Le voyageur Mortimer n’arrête jamais de se poser des questions. Ce marcheur n’a pas croisé l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson sur les chemins de France. Il aurait pu. Il n’est pas sûr qu’ils se soient adoubés tant leurs visions de la France des profondeurs divergent. De surcroît, ce voyage qui revêt une dimension philosophique n’est pas sans accointance avec l’oeuvre d’Umberto Eco (Le Nom de la Rose, Le Pendule de Foucault, l’Ile du jour d’avant) et celle de Henri Vincenot (Le Pape des escargots, La Billebaude, Les Étoiles de Compostelle). Nous retrouvons l’érudition sauvage et joyeuse du mage bourguignon dans l’évocation des chapiteaux des églises qui jalonnent l’itinéraire de Mortimer, tandis que le brouillage spatio-temporel où il évolue rappelle le cryptage ésotérique du Nom de la Rose.
Avec une écriture ciselée, Tomàs Turner crée une ambiance magnétique au sein de laquelle il fait exploser les idées reçues. Au-delà du regard iconoclaste et éclectique qu’il porte sur la France, il réenchante un monde où tout devient possible ! À l’instar d’un magicien, c’est à un voyage dans un autre univers qu’il nous convie.
« Le voyage de Mortimer », Tomàs Turner, éditions Balland, 340 pages, 20 euros

Facebook

 

Le voyage de Mortimer Tomas Turner